Matinée, plage. Après-midi, plage. Soirée, plage aussi ! C’est sous la loi divine du glandeur international que Jared régula son samedi. Il était venu dans l’espoir de draguer quelques filles, mais s’était vautré et endormi dans le sable avant d’avoir zieuté quoique ce soit. Cela dit il ne perdit pas son temps puisqu’il rêva de quelques seins qui s’offraient à lui. À San Francisco, il faisait une chaleur anormale pour la saison d’automne qui débutait. Certaines sectes prédisaient la fin du monde pendant que le reste des gens changeaient leur emploi du temps en fonction de la météo. Mais pour ceux qui pouvaient s’offrir le privilège de ne pas travailler une journée, il n’y avait pas un grand programme à établir. Plage ou piscine ! Sa piscine privée n’étant pas entretenue depuis des mois, et ayant une belle substance verdâtre qui recouvrait sa surface, il décida plutôt que de la vider d’aller flemmarder sur le sable chaud dans la foule. De toute façon, il était bien trop sociable pour être gêné par la présence des autres. Il resta éveillé toute l’après-midi à la recherche d’une de ses victimes. Sait-on jamais, il avait aperçu la dernière fois un sorcier à qui il avait déjà eu affaire venir se baigner ici ! À un moment, Jared joua avec un môme aussi. Sauf que le môme en question semblait beaucoup moins enthousiaste lorsque l’adulte écrabouillait ses châteaux de sable. C’est sa petite sœur qui vint dire les quatre vérités du maléfique pour prendre la défense de son frère. Jared se fit remonter les bretelles par une gamine de sept ans. Il se vengea en lui contant une des séances de torture qu’il eut récemment comme un conte d’horreur, et ricana lorsqu’elle se boucha les oreilles en retournant voir ses parents. Il passa le reste de l’après-midi à se balader en ville pour finalement revenir.

Treize heures. Quinze heures. Seize heures, dix-sept heures. La foule se faisait moins dense alors que la lourde chaleur s’accrochait encore aux vagues. Il décida d’aller se rafraichir une énième fois. Et surtout de nettoyer son boxer de bain plein de sable. Il marcha les pieds dans l’eau en arborant un air pensif, alors qu’il se demandait juste ce qu’il allait manger au soir. La plage était immense et toute en longueur. Il apercevait de nouvelles têtes au fur et à mesure qu’il s’avançait en parallèle avec l’eau. Au bout d’un moment, c’est un visage familier qu’il vit dans l’eau. Avec juste la tête qui dépassait. Leurs regards se croisèrent, et le sourire de Jared s’illumina. De loin, comme ça, le grand dadet ne pouvait pas lire dans la tête de son interlocuteur. Il ne comprit donc pas que sa présence était loin d’être désirée. Il s’imagina un accueil digne de deux trentenaires qui se demandent ce qu’ils sont devenus dans un café. C’est du moins ce que Jared réservait à Jimmy lorsqu’il plongea pour aller le rejoindre. Pourquoi Chilton était aussi loin de la plage ? Sûrement pour être tranquille, songea Jared. Mais cela n’empêcha pas ce dernier d’aller quand même l’enquiquiner. Au passage, il revit la gosse de l’après-midi qui faisait un plouf sur la bouée de son frère. Le maléfique lui pinça la cheville pour la faire hurler de peur. Il se téléporta ensuite plus loin pour qu’elle ne l’identifie pas, et qu’elle continue de croire qu’il y a un animal marin comme… un requin !

Fier de s’être acharné sur une fillette, il revint à la surface reprendre sa respiration puis atteignit finalement l’espace vital de son ancien camarade de baston. Il y a combien de temps, déjà ? Plusieurs années déjà… Cela lui faisait un peu bizarre de se retrouver face à lui par un pur hasard alors qu’ils ne s’étaient plus parlé depuis plusieurs mois. Depuis que le strip-teaseur avait décidé de jouer au con tout seul. Il ne s’en était même pas rendu compte, à l’époque. Aujourd’hui encore, il n’en savait rien, et aucune culpabilité ne le prit d’assaut lorsqu’en s’arrêtant de nager face à Jimmy, il lui lança :

« Hé vieille bique, tu prends ton bain ? »

Naturel, habituel, taquin mais heureux de le retrouver. Il n’appelait de toute manière les gens par leur prénom qu’en cas d’urgence sérieuse. Et n’étant presque jamais sérieux… Le sportif eut le sourire un peu figé en s’apercevant que son interlocuteur ne semblait pas aussi agréablement surpris de le voir. Ha. Il se souvint alors vaguement de quelques causes pour lesquelles Jimmy pouvait lui en vouloir. Un certain abandon, par exemple. HA. Puis il sentit de l’amertume dans l’esprit de ce dernier. Le maléfique vit l’autre sorcier venir à lui avec des intentions très peu louables. Il n’avait pas vu les choses sous cet angle mais maintenant qu’il avait accès à la manière de voir de Chilton, il pouvait effectivement comprendre que ce dernier lui en veuille quelque peu.

« Oulah, cache ta joie vieux. » fit-il en espérant quand même que son compagnon se calme. De toute manière, il était clair que Jared n’allait pas se laisser noyer si tant est que Chilton en avait l’intention ! Quitte à ce que ça finisse en baston, cela ne fera que lui rappeler de bons vieux souvenirs. Et puis avec Jones, régler les problèmes à la bagarre était le meilleur moyen de tout arranger ! Ou bien de tout empirer, à voir. Lorsque Jimmy fut juste en face de lui, le strip-teaseur fronça les sourcils et se prépara à riposter. Il lisait bien les mauvaises intentions dans l’esprit de l’autre sorcier et si lui n’avait aucune envie agressive, il n’allait pas se laisser noyer. Pour des broutilles, en plus !
« T’as pas l’air de bonne humeur, tu t’es fait insulté par un poulpe ? » plaisanta le gai-luron, incapable d’être sérieux plus de cinq minutes. Il était surtout confiant. Il n’attendait que ça, que des coups partent et qu’il participe à une grosse bagarre ! Il aimait tellement se battre, le bougre. Et entre gros sorciers maléfiques, c’en était que plus excitant.

« Un marsouin m’a appris à nager ! » répondit-il, hilare, en profitant de la fraîcheur de l’eau pour se remettre les idées en place. Sa télépathie, aussi vaste soit-elle depuis le temps qu’il la pratique, possédait cependant ses propres limites. Et la raison pour laquelle la nage ne faisait pas partie des sports pratiqués par notre homme, est que son talent mental était fortement atténué dans une solution liquide aussi basique que de l’eau. C’était comme une sorte de barrage qui freinait la vitesse à laquelle son esprit s’immisçait dans la tête d’une autre personne. Il ne percevait les pensées de Jimmy que par bribes d’images ou de paroles, comme si ce dernier lui parlait en ayant à moitié la bouche dans l’eau. Et lorsqu’il allait lui-même chercher les informations dans la tête de l’autre maléfique, il était sans cesse déconcentré et perturbé par l’eau dans laquelle ils nageaient tous les deux. Si elle était conductrice du courant, elle avait l’effet inverse pour la transaction entre l’esprit de Jared et la tête des autres. L’eau n’empêchait pas la télépathie, mais elle en diminuait grandement les effets. Mais l’homme se fichait bien de cet inconvénient. Se priver de quelques baignades, c’était comme se priver d’un écran parce que cela abimait les yeux au fur et à mesure. La comparaison était parfaite car la télépathie était devenue le sixième sens de l’homme, au point que sans elle, il en serait autant handicapé que s’il devenait aveugle. Elle était même bien primordiale à la vue. Il vivait avec depuis sa naissance, il ne pouvait plus se débrouiller sans. C’est une des raisons pour laquelle il la cachait précieusement à tous. Avec celle comme quoi la télépathie le rendait totalement dingue.

Il recula un peu en sentant bien que Jimmy n’était pas content. Quelles retrouvailles, songea-t-il en se demandant s’il ne ferait pas mieux de s’éclipser ailleurs avant de se bagarrer avec son ancien camarade. Mais il n’en avait guère envie. L’idée d’échanger des coups et des insultes avec ce vilain gourou lui plaisait davantage, alors il resta et se prépara à un futur affrontement qui risquait d’être plein de surprises. Jared se lécha les dents avec exagération lorsque son interlocuteur lui affirma qu’il avait un bout de salade coincé. Il répondit que ce devait plutôt être un morceau d’algue et roula des yeux. Qu’importe. Ils se regardèrent comme deux loups prêts à se sauter à la gorge. Cependant, Jared sentait qu’ils n’avaient pas tellement changé, tous les deux. Qu’il y avait autant de taquinerie que de sournoiserie. Que leur but n’était pas de détruire l’autre. De se disputer, de remettre les pendules à l’heure mais avec leur naturel habituel. Violence, cruauté n’étaient que des détails dans leur manière de faire. Et même si Jimmy lui en voulait, Jared sentait qu’il avait retrouvé le camarade aux côtés de qui il combattait autrefois. Alors il se sentit à l’aise, presque rassuré. Qu’importe s’ils cherchent à se tuer, ils s’étaient retrouvés. Et le maléfique fut presque sûr qu’à la fin de leur chamaillerie, il n’y aura pas de mort.

« T’as pas l’… » Il s’interrompit car Jimmy plongea. Jared perdit tout contact avec son esprit. Le corps entier de son interlocuteur était recouvert d’eau, alors le télépathe n’avait plus aucun lien avec lui. Il ne saurait même pas dire où est-ce qu’il était ! Jared frissonna, il n’était pas habitué à ne plus ressentir la présence des personnes autour de lui et en de telles circonstances, il n’aimait pas cela. Même Mike qui savait maintenant dresser une barrière pour l’empêcher de lire en lui, ne pouvait l’empêcher cependant de ressentir ses émotions et de capter son esprit s’il était à proximité. Les effets de l’eau annulaient totalement le pouvoir du télépathe lorsque son corps entier ou bien celui de l’autre était entouré d’eau. De plus, dans l’eau, son pouvoir de gravité n’avait aucun effet. Il pouvait bien faire flotter quelques gouttes mais il lui était difficile de séparer quelques flaques de cet océan ! Quant à voler, il ne pouvait pas voler dans l’eau. Il lui faudrait sortir pour s’envoler dans les airs. Jared regarda autour de lui à la recherche de la silhouette familière de Jimmy. Il tourna sur lui-même avant de se décider enfin à plonger à son tour. Il coula sa tête et ouvrit les yeux une fois dans l’eau pour essayer de voir son adversaire. Il ne le vit pas, mais il le sentit. Ou plutôt il sentit l’arme piquante se glisser dans son froc. Il poussa un couinement dans l’eau qui sortit sous la forme de bulles qui allèrent éclater à la surface. L’homme retrouva l’air libre et reprit sa respiration en se tortillant comme un forcené pour retirer l’animal qui lui piquait les fesses. Quel sournois ce Jimmy ! Une fois débarrassé de la bestiole qu’il jeta furieusement plus loin, il se massa les fesses douloureuses en regardant Jimmy d’un air grognon.

« T’as pas perdu tes habitudes de vicieux, toi ! » grogna-t-il avant de nager d’un bond vers son interlocuteur pour l’éclabousser au visage. « Moi aussi j’suis content de te voir, mais j’irais pas piquer tes jolies fesses pour te le prouver ! »

Il perdait à nouveau son sérieux. Jared n’était pas un être rancunier lorsque les sévices le touchaient personnellement. S’il aimait se donner un côté protecteur en faisant mine d’être très méchant lorsqu’on s’en prenait à ses proches – pour l’honneur, toussa – il se fichait éperdument qu’on le touche, lui, tant qu’on ne visait pas à le priver de sa précieuse fierté. Autrement dit ses parties génitales. La douleur, il avait l’habitude. Il n’allait pas jusqu’à aimer ça, mais Jimmy ne lui avait pas non plus enfoncé cet oursin dans les côtes, il l’avait juste glissé dans le boxer. La peau du maléfique ne saignait même pas – heureusement parce qu’un requin n’aurait pas été le bienvenu ici. Non rancunier mais néanmoins friand de bagarre, Jared prit le prétexte de l’attaque à l’oursin pour se précipiter sur Jimmy et essayer – presque gentiment – de le couler. Il allait y avoir des coups, il allait probablement boire la tasse lui aussi, ils allaient sûrement se fatiguer comme deux enfants dans l’eau et, une fois épuisés et sans vainqueur, sortir pour souffler un peu. Mais c’était si bon !

C’est bien beau de se moquer, mais Jared se surprit à espérer que l’oursin ne s’était pas rincé l’œil dans son maillot. Des fois qu’il ait envie d’y retourner, sait-on jamais. C’était le genre de blague que lui-même était capable de faire alors forcément, être confronté à quelqu’un qui avait le même genre d’humour douteux que lui le surprenait toujours. Il n’avait plus l’habitude de trainer avec Jimmy, et ce n’était pas cet adorable blasé de Mike qui rira d’une telle chose. Le strip-teaseur s’imagina un court instant glisser l’animal piquant dans le froc de son ami Calahan et… non. À ne pas faire. C’était drôle, mais il serait alors le seul à en rire. À la réaction de Jimmy, il comprit que ce dernier n’était pas tant en colère que cela. Qu’il se vengeait gentiment de toute cette histoire. Se piquer et se couler, par rapport à ce qu’ils faisaient subir à leurs réels ennemis, c’était quand même franchement bien gentillet. Il soupira suite aux paroles de son compagnon. Un crabe aurait été moins douloureux qu’un oursin mais dans tous les cas, il s’en remettait vite.

« Essaye-donc de crier dans l’eau, Rocky, qu’on voie si tu peux faire plus grave. » répondit-il tranquillement en roulant des yeux. La douleur s’atténuait, mais l’envie de poursuivre le combat, elle, augmentait considérablement. L’eau accentuait la partie aigüe de la voix et ce n’était pas nouveau. De plus, l’homme n’était pas dans son élément ici et donc plus sujet à la surprise que dans n’importe quel autre lieu. Il continuait de faire son fier parce qu’il était toujours confiant, mais ne dirait jamais non à une proposition de changer d’endroit pour papoter ou pour frapper. La chamaillerie se poursuivit un peu plus brusquement lorsqu’ils en vinrent directement aux mains. Et Jared se précipita sur Jimmy pour le couler un peu, tout en chantonnant une petite chanson paillarde sans que l’autre ne doive l’entendre. Une de ses mains appuyait sur la tête de Chilton pendant que l’autre écrasait son épaule pour essayer de maintenir le dessus. Il levait quant à lui la tête vers le ciel avec un sourire béat, les yeux clignotant pour chasser le sel piquant de ses paupières. Il n’avait pas l’intention de noyer son partenaire, loin de là. Mais l’homme était un peu brutal dans ses jeux, et pouvait parfois aller loin. De plus, il ne savait pas avec sa télépathie quand sera le bon moment pour cesser, à cause de l’eau qui l’empêchait de capter l’alerte.

Quelques caresses lui firent baisser la tête vers l’eau. Après avoir visé ses fesses, l’autre cherchait à dire bonjour à l’oiseau ? Décidemment, Jimmy en voulait aujourd’hui ! Le maléfique sentit par ailleurs son trésor audacieux dévoilé à l’océan. Il pesta intérieurement contre ces gens qui osaient s’en prendre à ses précieux bijoux de famille pour avoir raison de lui. Jimmy n’était pas le seul, bien que sa version à lui soit beaucoup moins douloureuse que celle de Félix qui lui avait carrément serré les parties génitales pour que Jared cesse de l’étrangler. Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous, ces mecs, avec les bijoux des autres ? Il le lâcha, ne serait-ce que pour remettre son maillot en place en grommelant quelques insultes plus pour lui-même que pour les autres. Il avait horreur que l’on s’en prenne à Oscar et Gaston pendant qu’il était en train de faire autre chose. Il regarda d’un air amusé Jimmy reprendre son souffle. Ce dernier n’avait ça que pour qu’il le lâche, Jared s’en doutait bien, mais il n’échappera pas aux allusions douteuses à ce sujet !

« Mais non mais non. » fit-il sur un ton qui laissait entendre le contraire. En l'occurrence, qu’il avait un sérieux problème mental. Mais ce n’était pas nouveau qu’on disait de lui qu’il était fou, et Jimmy devait bien le savoir à force de le côtoyer. « D’abord mon popotin, puis ma pompe à bonheur. Tu veux me faire passer un message ? » lança-t-il sur un ton moqueur en reculant un peu pour le laisser respirer à sa convenance. Il avait peut-être trop fait durer le jeu du « j’te coule » mais dans le pire des cas, il n’aurait pas laissé Jimmy se noyer comme ça. Surtout qu’à deux, ils faisaient la terreur de tous leurs adversaires. En avaient-ils encore en commun ? L’idée de l’aider à reprendre son souffle en le tenant pour que Jimmy n’ait plus à se soucier de nager pour rester en surface effleura l’esprit de Jones mais ne resta pas. Ils étaient aussi fiers tous les deux et Jared savait que Chilton préfèrerait peiner à se débrouiller tout seul plutôt que d’accepter son aide. Le strip-teaseur se contenta donc de faire l’étoile, sur le dos comme un enfant, et de le laisser en paix. Il resta ainsi lorsque l’autre lui parla, se contentant de tourner la tête pour lui répondre.

« Le jour où j’me ramollirais, je serais mort. » fit-il simplement en ignorant volontairement la mention sur le fils Calahan. Moins il en parlait, plus fier il se sentait. Il avait cette manie de se sentir coupable à chaque fois que Mike entrait dans une discussion. Comme s’il avait l’impression d’avoir fait quelque chose de mal et que l’autre lui en voudrait. Jared souffla et chassa comme il put toutes ces pensées de sa tête pour reprendre sa position initiale dans l’eau, à savoir la verticale. Il se rapprocha de Jimmy et, pour lui montrer que ce n’était pas pour se bastonner qu’il venait à sa rencontre, lui tourna le dos.
« Moi j’sors de là. Si tu me suis accroche toi que je nous fasse disparaître. »

Il attendit quelques secondes puis se téléporta avec Jimmy (si ce dernier le suit) hors de l’eau pour réapparaître sur le sable de la plage. Enfin de la terre ferme, il s’allongea dedans comme un cochon pour profiter bêtement du peu de soleil qu’il restait et pour flemmarder sur le sable. Il était tout crade mais n’en avait rien à faire.