Oui, Elwin aimerait drôlement jouer les héros, si ça peut lui attirer quelques faveurs, un peu d’affection ou même de l’admiration chez quelqu’un. Mais avec ces deux hommes, il n’espérait rien de tout ça, il prit donc la remarque de Jared comme une menace. Lorsque l’homme le relâcha, l’enfant eut peur qu’il le frappe mais le sorcier sembla seulement décidé à lui faire peur verbalement. Elwin n’avait encore jamais passé autant de temps avec le grand loup sans se prendre un seul coup. Il battait des records personnels, et il en aurait été très fier si la peur ne le tenaillait pas déjà au ventre. Il répliqua une seule chose. Une seule, alors qu’il ne faisait que se taire depuis le début de la conversation. Depuis le départ d’Alys, sur un coup de téléphone, il n’avait dit qu’une seule petite phrase, et il eut la désagréable surprise de voir Owen s’énerver après lui comme s’il avait fait la pire bêtise du monde. L’enfant voulu se dégager, par peur, et ne reconnaissant plus du tout l’aveugle mais ce dernier le tenait fermement. En plus, à force de le serrer, il lui faisait mal. Le petit ne comprenait plus rien. Des fois l’autre était gentil, des fois il lui faisait peur. Au moins il ne se faisait pas d’idée avec Jared, son opinion ne changeait pas ! Là, il commençait à s’effrayer lui-même en s’imaginant être dorloté par Owen et aussitôt après frappé. Cette pensée le fit frémir mais il ne pouvait pas se dégager, bien qu’il essaya. L’enfant gigota mais sans succès. Jared demanda à l’aveugle si ce dernier comptait vraiment protéger Elwin. Franchement, le fantôme ne se sentait pas tant en sécurité que ça. Il avait l’impression qu’au moindre faux pas il allait se prendre un million de baffes parce qu’il a dit un seul mot. Mais pourquoi était-il aussi méchant l’autre, si c’est pour être gentil après ? Des gens hypocrites, ça, le gamin en avait vu. Mais pour sa survie, il allait se garder de le lui dire.

Il faillit faire son sale gosse et répéter ‘J’en veux pas de tes bonbons.’ Mais l’enfant préféra garder le silence parce qu’il allait se faire encore gronder après. Il n’avait pas du tout confiance en un adulte qui lui proposait des friandises juste après lui avoir demandé de se taire sur un ton furieux. Et maintenant, tout ce qu’il souhaitait c’était partir loin des deux hommes afin d’être en sécurité… Ou bien leur mettre un coup de pied où il ne fallait pas, au choix. Le petit se contenta d’attendre patiemment, espérant toujours que son soi disant protecteur allait réellement le protéger de Jared. Et en voyant qu’il ne répondait pas, il tira la langue à ce grand loup en se retenant de ricaner. Et paf ! Voilà un moment où il n’allait pas le frapper ! Du moins, il espérait que le sorcier n’allait pas faire du mal à l’aveugle pour frapper le gosse. Si Jared ne semblait pas disposer à se disputer avec Owen, parce qu’apparemment il le connaissait, il était toujours là, et sa seule présence ne pouvait pas rassurer l’enfant. Ce dernier s’abaissa lentement puis ramassa un caillou, tout en espérant ne pas faire assez de mouvement sur sa main pour qu’Owen ne sente rien. Il mit quelques projectiles dans sa poches, au cas où, puis leva la tête vers son protecteur lorsque ce dernier demanda à Jared ce qu’ils allaient faire. Et puis pourquoi il ne le demandait pas à l’enfant ?

« Tu me sers trop. » risqua le petit en regardant sa main un peu meurtrie.

Bon il n’allait pas se tordre de douleur non plus, parce que ça ne faisait pas si mal que ça, mais c’était désagréable comme sensation. L’enfant attendit quelques secondes puis il tira sur la chemise d’Owen à plusieurs reprises pour attirer son attention et lui annoncer qu’il voulait lui dire quelque chose.

« Comment tu t’appelles ? » Ca faisait deux fois qu’il posait cette question, mais il ne désespérait pas.

Jared le lui avait bien dit quand l’enfant avait passé sa première nuit dans sa première benne à ordure. Et puis il se disait que s’il y avait des présentations, il pouvait attirer un peu plus de bonnes émotions à son égard. Le petit shoota dans un petit gravier. Il ne pouvait pas se rendre compte qu’Owen était sensible aux autres sens, et même si ça paraissait logique, le petit n’avait jamais appris ce genre de choses. Et puis même, il ne se rendait pas toujours compte de ce qu’il faisait et en l’occurrence, donner un coup de pied dans un objet était la simple traduction d’un soupir réfréné. Il se tourna vers Jared, le fixant de ses deux grands yeux bleus.

« Va t’en ! Si tu m’approches encore, il va t’empêcher de me frapper ! C’est facile de s’en prendre à plus faible que soi ! » s’exclama le petit en lançant un regard haineux vers l’adulte maléfique, « De toute manière tu pourras plus m’attraper maintenant, et tu pourras plus jamais me faire du mal comme avant ! »

D’où pouvait bien venir cette assurance ? En fait, il n’en savait rien. Et il s’agissait des paroles qu’il lâchait à chacune de ses rencontres avec le grand loup. Il espérait qu’un jour, ces paroles soient vraies. Le petit continuait de remuer, tellement il était nerveux.

« Ce n’est pas vrai… »

Si l’enfant démentait d’une manière honteuse les derniers propos de son ennemi, il ne pu cependant étirer un grand sourire en sachant que Jared allait quitter les lieux. Pour la première fois, ce sorcier partait sans avoir touché une seule fois au petit. C’était une grande victoire pour le gamin, qui ne pouvait s’empêcher qu’Owen était peut-être la cause. Peut-être l’aveugle lui avait-il fait peur ? Mine de rien, le garçon lui en était reconnaissant et lorsque le grand loup eut disparu, enfin, il ressentit toute la pression autour de lui se relâcher. Il avait l’impression que l’on venait de lui retirer un sac à dos qui pesait une tonne. C’était un grand pas vers la fin de la bataille pour lui, vers la gloire ! Il se trémoussa à l’idée que Jared n’allait peut-être plus le martyriser autant dorénavant, et qu’il allait finir par savoir se défendre pour de bon. Le petit leva son visage vers Owen, tout sourire, s’apprêtant à le remercier et surtout à lui faire comprendre à quel point c’était puissant et courageux de l’avoir protégé. Il allait affirmer à quel point il commençait à adorer Dardevil, mais il se ravisa bien vite de faire une telle chose lorsqu’il sentit la main de l’homme se poser sur sa gorge. Le petit écarquilla les yeux et n’eut pas le temps de réagir qu’il se sentir basculer en arrière. Il tomba sans douleur et tenta bien que mal de se débattre de l’emprise. Il fut très rapidement maîtrisé par l’aveugle, malgré ses mouvements brusques et vains. Il ne comprenait pas pourquoi il se faisait sermonner ainsi. Il voulait se dégager, il voulait dire à Owen de le lâcher et il clignait plusieurs fois des yeux, persuadé qu’il allait se prendre des coups aussi. Le petit ne comprenait pas d’où venait ce sermon, et surtout pourquoi. Il ne s’était rien passé, et Jared ne l’avait pas touché alors pourquoi se mettre en colère ? Les dernières phrases de l’adulte piquèrent l’enfant au vif, et ce dernier tenta plus encore de se débattre sans y arriver.

« Je… » il n’eut pas le temps de parler car l’aveugle s’était lancé dans une nouvelle tirade, qui faisait beaucoup plus mal que la précédente.

Pourquoi était-il autant incompris ? Il n’était pas stupide, il savait très bien que s’il laissait couler toutes les méchancetés qui circulaient, il n’arriverait jamais à se faire respecter ! Et le garçon voulait devenir quelqu’un, il voulait sauver des vies, aider des gens, il voulait que son simple prénom fasse trembler d’effroi les créatures du mal ! D’un autre coté, il voulait tellement de choses et il avait si peu de moyens que les moments de pleurs et de désespoirs étaient fréquents chez lui. Il n’y avait qu’Alvin pour croire en lui et pour le lui montrer. Malheureusement, son ami fantôme n’était pas toujours là, et Elwin ne savait pas toujours où le trouver. Il posa ses mains pour tenir le poignet d’Owen, bien qu’il ne puisse pas l’enlever, puis le regarda dans les yeux. Il ne regrettait ni ses gestes, ni ses paroles. Le fait que l’homme le gronde de cette manière comblait une sorte de manque chez lui. Bizarrement, il en avait besoin, et il avait l’impression de retrouver de l’humanité de cette manière. Cependant, son caractère lui montrait en évidence l’injustice qu’il subissait. Si c’était à refaire, il agirait peut-être pareil, voire pire s’il avait plus de courage. De toute manière, Alvin disait que personne ne pouvait les tuer. Elwin était déjà ‘mort’ par Jared. C'est-à-dire que l’esprit disparaît de la surface durant quelques heures, quelques jours ou encore quelques semaines. Puis il réapparait dans les alentours où il a disparu, sans autre séquelle que ses souvenirs. Pour le supprimer définitivement, il fallait l’envoyer de l’autre coté…

« Je m’en fiche ! Je m’en fiche qu’il me frappe ! Je m’en fiche de lui et de sa tronche de cake ! » s’exclama le petit en gigotant et gigotant tant il détestait être immobilisé, « Et j’ai pas peur de toi ! »

Cette dernière phrase était à demi mensongère. Certes, il était moins effrayé que lors de leur rencontre mais il garder le ventre serré à l’idée d’être à la merci d’Owen. L’enfant se sentait parfois si fragile qu’il avait envie d’en pleurer, et de jalouser cet aveugle pour être meilleur que lui alors qu’il ne voyait pas ! Il ne comprenait pas par quelle injustice il était obligé de vivre à la rue, pourquoi il n’arrivait pas à prendre racine dans un foyer, pourquoi les gens le fuyaient lorsque ses dons se manifestaient, et surtout il ne comprenait pas comment il pouvait y avoir autant de salops dans la ville qui mériteraient d’être en prison plutôt que dans les rues. Pourquoi aussi s’acharnaient-ils sur l’enfant ? Il en devenait craintif, presque sauvage et son bon cœur généreux était voilé par un masque de fierté. Il ne savait toujours pas se défendre, et cela l’accablait. Il fixa Owen, le souffle et le cœur en mode accélérés par l’’angoisse. Même s’il craignait l’aveugle, il ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver de l’admiration pour sa force et son style. L’enfant se surprit à réclamer intérieurement de la douceur et de l’attention de cet homme mais il ne fallait pas rêver, Owen était méchant…

« Lâche moi, s’il te plaît. » souffla l’enfant sur le ton à la fois de la supplique et de la menace, avant d’ajouter de manière spontanée, « je veux pas être moins fort que les autres, je suis pas stupide et de toute façon ch’uis déjà… »

Il s’interrompit. Il ne devait pas dire à n’importe qui qu’il était mort, d’autant plus que la majorité des personnes risquait de ne pas le croire. Le petit répéta à Owen de le lâcher afin de combler sa fin de phrase. Il avait un coude posé sur le sol, forçant dessus pour essayer de se reposer tandis que son autre main tenait le poignet de l’aveugle, espérant qu’il le lâche. Elwin sentait les larmes lui monter aux yeux depuis quelques minutes mais comme depuis sa rencontre avec l’aveugle, il se retenait et ravalait toutes ses larmes sans même laisser le temps à ses yeux de briller.

Cet enfant était mort de trouille à l’idée de se retrouver seul avec cet inconnu. Il lui aurait fait confiance sans hésiter s’il n’avait pas appris à ses dépends que l’aveugle était encore plus perturbé que lui. Il n’arrêtait pas de l’insulter, de le brusquer, et cette situation commençait sérieusement à instaurer la peur au petit en même temps que la colère. Il sentait comme une once de courage ou d’inconscience traduit par une montée d’adrénaline. En gros, il ne souhaitait pas se laisser faire. Comme il le disait souvent lui-même, réplique reprise de ses héros favoris, il vendra chèrement sa peau ! Entre l’angoisse qui lui hurlait de s’enfuir pour conserver sa santé, et sa fierté qui se réveillait brusquement, il n’eut pas à choisir. Car la colère surpassa toutes ses autres émotions et le prit d’assaut. C’est simple, il en avait marre d’être prit pour un minus, pour un déchet, et il aurait tout donné en cet instant pour que quelqu’un reconnaisse enfin sa valeur. Même ses proches avaient tendance à le gâter et à le prendre pour un idiot. Aucun enfant n’aimait ça, aucun petit bout de chou ne pouvait apprécier qu’on vienne lui raconter des histoires à propos de cigogne lorsqu’il surprend ses parents l’un au dessus de l’autre ! C’était souvent arrivé à Elwin, d’ailleurs. Ses parents mais aussi d’autres individus étant donné qu’il s’infiltrait un peu partout sans s’en rendre compte. Et à l’habituelle question « que faîtes-vous ? » il recevait l’habituelle réponse « Un câlin ». Chez lui, les câlins ne se faisaient pas tout nu, à moins d’être dans le bain ! Le môme n’était pas un imbécile, et il savait très bien qu’ils faisaient ce qu’il appelait ‘la chose bizarre’ et qu’il avait encore beaucoup trop de mal à se visualiser. Attendez un peu qu’il se remémore… Alors la femme a un trou, et l’homme met son morceau du puzzle à la bonne place ? C’était particulièrement dégoûtant aux yeux de l’enfant mais bon. Puisque la nature humaine est faite ainsi, alors il espérait tout simplement grandir à coté de ces choses bizarres. Heureusement pour lui, son amoureuse était du même avis.

Étant un fantôme, son cœur ne devrait normalement plus battre. D’ailleurs, il ne devrait même plus en avoir. Tout son corps devrait être composé d’une matière brumeuse. Il ne devrait avoir ni sang, ni organe. Cependant sa composition en a voulu autrement. Et le pouvoir du bonhomme était de se recréer son corps d’origine, afin de continuer à vivre parfois comme le ferait un petit garçon. Physiquement, tout du moins. Lorsqu’il se solidifiait, il retrouvait donc des organes et un cœur qui ne battait qu’au son de ses émotions. En l’occurrence, la peur l’avait grandement fait accélérer en plus de l’adrénaline qui lui donnait la force de pomper sans se fatiguer. Que pouvait-il bien se passer en lui, pour qu’il se mette à éprouver l’envie d’en savoir plus sur son agresseur ? Il voulait connaître ce type. Peut-être Elwin possédait-il un caractère un peu masochiste. Quoiqu’il en soit, il était perturbé, atteint de sa maladie dont il ignore encore la nature et le nom. Et il avait l’impression de ressembler un peu à Owen, bien qu’il espérait de tout son cœur ne jamais devenir comme lui. Au fond, il aurait aimé se comporter comme il le faisait. Avoir des amis haut placés, pouvoir tenir tête à quelqu’un sans attirer de la moquerie ou de la pitié, même avec un handicap, et savoir se défendre. Pouvoir maîtriser ses ennemis et leur montrer qu’il n’y a pas lieu de rire. Il tentait toujours de faire lâcher prise en vain à l’aveugle, qui lui demanda de le frapper avec un tel sarcasme et une telle dureté dans la voix que le petit hésita. Le frapper ? Ce n’était pas prévu dans le programme, mais pourquoi l’aveugle lui demandait-il de le frapper ? Elwin ne voulait pas le faire si c’était l’autre qui le lui demandait, bien qu’il en mourrait d’envie pour sa propre rancune ! Il s’immobilisa légèrement, le cœur battant, et fixant avec curiosité les globes vides de son interlocuteur.

« J’frappe pas les aveugles. » lâcha-t-il comme s’il avait dix ans de plus, comme s’il était ce boxeur balèze qui refusait de s’en prendre à une vieille dame. Il ignorait lui-même si cette phrase était sortie sous une forme de respect, pour marquer le fait qu’Elwin avait peur de frapper Owen ou encore pour provoquer allègrement ce dernier. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il jonglait entre l’inquiétude et l’énervement, et que ses paroles étaient sorties comme un crachat sur la figure d’Owen. Il vit l’autre se calmer lui aussi, sans comprendre ce qu’il se passait. Quelques secondes plus tard, le môme était relevé de force par l’aveugle mais il resta sur ses gardes. Qu’est-ce que c’était que ce piège ? Qu’allait-il lui faire maintenant ? L’enfant comprit la raison de ce revirement de situation lorsqu’Owen lui demanda de l’aider à retrouver son chemin. Évidemment, dans ce genre de situation, ça arrangeait bien l’aveugle de ne pas lui faire de mal. Malgré l’offre normalement tentatrice pour un petit garçon comme Elwin, il secoua négativement la tête tout en sachant qu’Owen ne pouvait pas le voir. Si l’aveugle le croyait assez con pour accepter ce marché plus que louche après l’avoir insulté et menacé… Il y avait quand même des limites à de la naïveté ! L’enfant était assez inconscient pour refuser. Du moins, pas avant d’avoir eu ce qu’il voulait, c'est-à-dire soit plus d’informations sur « Pourquoi l’aveugle est méchant avec lui », soit des excuses. D’un autre coté, les paroles d’Owen résonnèrent à nouveau dans son esprit. Ce n’était pas tant l’impatience de recevoir la récompense qui le faisait hésiter, mais surtout la curiosité de savoir ce que c’était ! Le petit regarda l’aveugle comme pour essayer de le sonder et de s’assurer qu’il disait vrai. Il se méfiait, évidemment, mais d’un autre coté il n’était ni mort, ni blessé, donc… Il allait lui répondre, lorsqu’il sentit ses jambes devenir beaucoup plus légères. Il pu se rendre compte qu’il commençait à flotter à quelques centimètres au dessus du sol, et que son corps devenait petit à petit brumeux. Son cœur s’arrêta alors de battre lorsque la composition gazeuse s’empara de sa poitrine, et il fit la grimace. Pourquoi est-ce que son don se manifestait toujours lorsqu’il ne s’y attendait pas ? Et pourquoi n’arrivait-il jamais à l’utiliser lui-même ? Le garçon battit des bras et tenta de faire disparaître cette sensation d’euphorie et de possession qui prenait part en lui à chaque fois que l’état de fantôme l’imprégnait. Ce mouvement brusque raviva son cerveau et il put reprendre le contrôle de son corps. Il redevint solide aussitôt et chuta durement sur le sol. Les paumes au sol et les genoux s’éraflant par terre, il se releva sans un mot en pestant intérieurement contre ce qu’il ne parvenait pas à comprendre, puis il regarda Owen.

« Ok. À condition que tu me dises comment tu t’appelles, et ce que c’est la recompense. » répondit enfin l’enfant.

Il dirigea sa main vers celle de l’aveugle et la lui prit, avant de la ‘traverser’ sans le vouloir. Il tenta de la reprendre mais sa propre main était devenue translucide et elle traversa le bras et le bassin d’Owen. Elwin souffla sur ses doigts et les secouèrent. Ses émotions menaient la danse et il lui était presque impossible de se contrôler. Cependant, lorsqu’il retenta de prendre la main d’Owen, il put enfin la sentir pour de bon. Alors il la lui serra, de peur que son état brumeux ne la lui fasse lâcher encore et qu’il le perde dans le noir.

À peine avait-il prononcé sa petite phrase, sortie malgré lui, qu’il se retrouva plaqué au mur sans bien comprendre ce qui lui arrivait. Hé quoi, ce n’était pas de sa faute si l’autre était aveugle et quand même, pour un non voyant, il était vraiment violent ! L’enfant avait d’ailleurs du mal à croire qu’il ne s’agissait pas d’une sorte de farce. Parce que pour lui, si on le privait de la vue, il était certain de ne pas être aussi sûr de lui-même, de pouvoir marcher, agir et de pouvoir frapper comme Owen le faisait. Il n’y avait donc aucun doute : Cet handicapé faisait semblant de l’être ! Mais le petit n’allait pas se faire avoir. Cela dit, Elwin changeait d’avis toutes les demi-secondes et lorsqu’il sentit le contact dur du mur le faire grimacer dans son dos, il commença à se dire que peut-être cet aveugle l’était réellement. Opinion qui se transforma de nouveau dans l’instant qui suivit. En bref, il ne savait plus quoi penser. Il se prit la menace mais il était bien trop inconscient pour y croire. Haha et comment il ferait son agresseur pour le couper en deux, hein ? Il n’avait même pas de hache ou de katana pour faire comme à la télévision ! Le petit lui tira la langue, bien que l’autre ne devait pas vraiment se rendre compte de ce détail. Il en profitait d’ailleurs pour lui faire un nombre incalculable de grimaces, se disant que si Owen ne voyait réellement rien, alors il pouvait se moquer autant qu’il le voulait. Non pas se moquer de son handicap, mais des menaces de l’homme, bien évidemment, puisque l’enfant avait trop bon fond pour faire preuve de cruauté. Il sentit la pression se relâcher et poussa un gros soupir blasé. Pff il commençait à en avoir marre de se prendre des menaces et de se faire soulever comme un rien comme une poupée ! Il se disait alors que la prochaine fois… Ouais, la prochaine fois qu’Owen le plaque sur le sol ou contre un mur, il lui fera la tête au carré ! Non mais, on ne provoque pas un futur super héros ainsi. Au contraire, il devrait plutôt se mettre Elwin dans la poche comme ça plus tard, lorsque le petit sera le plus fort du monde, il le protègera ! Mais non, parce qu’en plus d’être aveugle, cet adulte était totalement idiot. Il ne devait pas penser pareil ou bien il était fou, de s’en prendre à la terreur de San Francisco et bientôt de l’Amérique ! Il allait lui répliquer avec fierté, quoique de manière peut-être moins spontanée que la bêtise qu’il avait sortie à propos des aveugles, mais son état se manifesta et l’interrompit. En quelques secondes il se retrouvait par terre en train de grommeler et de pester intérieurement contre cette fichue malédiction. Alvin disait qu’il pouvait maîtriser ça, mon œil oui ! À chaque fois que l’enfant essayait, il n’y arrivait pas ! Il ne voulait pas s’en débarrasser parce qu’il fallait avouer que parfois, ça lui rendait bien service et c’était cool de pouvoir faire des choses que les autres ne sont pas capable de faire. Cependant, c’était franchement pénible de discuter avec quelqu’un et de disparaître soudainement de sa vue. Et alors là, on pouvait bien agiter les bras, ou plutôt ce qu’il lui reste de bras, crier son nom, mais rien à faire. L’autre se demandait alors où il était passé, et le cherchait partout alors que le fantôme était toujours là, sous une forme brumeuse invisible et palpable, juste en face. Oui, parfois, c’était pénible. Elwin se releva en grognant et pu se dire pour lui-même que la cécité d’Owen était toujours une bonne chose puisque l’homme ne l’avait pas vu se vautrer sur le sol tout seul. Non mais la honte quoi, tomber devant quelqu’un ! La honte la honte la honte. Heureusement il se reprit bien vite et fit un marché avec cet aveugle. Il acceptait en échange d’une récompense et de l’identité de cet homme. Elwin était impatient de savoir ce qu’était la récompense, il fallait l’avouer. En fait il tenait plus à savoir ce que c’était qu’à la recevoir. Et là, cette petite voix qui lui disait « Ne lui fait pas confiance ! Ce type est louche ! » avait disparu. Ou du moins, il ne l’écoutait plus puisqu’il l’avait totalement étouffé sous sa curiosité et son enthousiasme. Le dénommé Owen le provoqua. Ses paroles firent mouche dans la tête du petit, qui bomba fièrement le torse et qui répondit avec entrain.

« Bien sûr que nan j’ai pas peur, qu’est-ce que tu crois ? Allez viens Owiwi ! »

Et le voilà, convaincu, qui essayait de prendre la main de cet aveugle pour l’amener à la rue principale. Non pas parce que l’homme était victime de la cécité, mais même s’il voyait clairement, l’enfant lui aurait prit la main. C’était pour le môme le signe qu’ils étaient ensemble, qu’ils allaient quelque part ensemble. En même temps, tenir la main de quelqu’un rassurait vraisemblablement l’enfant, bien que ce dernier n’était pas prêt d’admettre qu’il avait besoin d’être rassuré. Après tout, ce n’est qu’un gosse. Après son petit manège pour tenter de lui garder la main, parce que son saleté de bras s’amusait à passer au travers, il commença à marcher à ses cotés et à le guider sans prendre pour autant les devants. Il se demandait quand même pourquoi Owen n’avait ni de chien ni de canne, et comment il faisait pour se repérer. D’ailleurs il se promit de le bombarder de questions. L’enfant se sentit soudainement tiré sur le coté alors qu’il allait poser le pied sur la crotte qu’il avait déjà testé un peu plus tôt. Il ne la regarda pas, ne comprit pas vraiment et pensa que l’aveugle était sur le point de tomber et qu’il se raccrochait à lui, c’est pourquoi l’enfant tira à son tour sur le coté opposé en serrant fort sa prise sur la main d’Owen et en agrippant le bras de ce dernier avec son autre main. Son pied passa à quelques millimètres seulement du déchet canin.

« Si tu veux ta surprise, t’auras à venir chez moi. »

Alerte ! Alerte ! Un gyrophare venait de s’allumer dans l’esprit de l’enfant. Ce genre de paroles terriblement douteuses devait absolument le freiner dans son élan ! Il ne devait certainement pas accepter, c’était franchement trop louche, là ! Il suffisait d’ajouter environ quelques années à Owen, un visage un peu plus pervers et c’est bon, le gamin était fini. Une proposition comme cela, même le plus idiot des bébés comprendrait qu’il faut refuser !

« D’accord ! Mais j’sais pas où t’habites moi. »

Okay, la curiosité est vraiment un très vilain défaut… Mais la tête d’Owen lui donnait réellement envie de lui faire confiance ! Même s’il se prenait des coups, il continuait de se dire que cet adulte ne pouvait pas être méchant ! Au contraire, s’il se faisait un ami aveugle, ce serait drôlement chouette ! Elwin garda donc sa main dans la sienne et jeta quelques coups d’œil un peu partout autour, ne se doutant de rien et éteignant lui-même l’alarme qui s’était déclenchée dans sa tête. Tais-toi la conscience, il fait ce qu’il veut ! N’y pouvant plus, il se tourna vers le dardevil miniature et sortit une des séries de questions qui lui trottaient dans la tête.

« Comment tu fais sans canne et sans toutou ? Pourquoi t’en a pas ? Tu peux pas avoir de couleur préférée du coup ? »