Un début de soirée bien tranquille

Une taffe. Puis deux.
Cette fumée incessante qui le tuerait sans doute un jour. En même temps, vu tous les risques qu'il pouvait encourir jour après jour avec sorciers, démons (et passons tout le reste du botin magique), Mike ne s'attendait pas à une vie parfaite, comblée et interminable -en plus de ne pas désirer une telle vie. L'ironie du sort, serait que la cigarette le tue avant qu'un être magique ne s'en charge (ou bien un accident humain après tout, les sorciers sont tellement omnubilés par le monde magique qu'ils en oublient le monde humain). Quoiqu'il en soit, il n'était pas prêt d'arrêter cette merde. Ce n'est pas un membre de sa famille qui allait l'empêcher de fumer, ou même tenter. Et même si l'addiction que cela pouvait lui procurer lui devenait dispensable, têtu comme il était ça ne suffirait même pas pour le faire arrêter. Une autre taffe.

Tranquillement posé sur un banc du Golden Gate Park, il coupa sa lecture et ses diverses pensées dès l'instant où il posa son regard sur sa montre. De toute manière, cela faisait quelques minutes que Mike ne parvenait plus à se concentrer...sûrement à cause des gosses qui vociféraient et gambadaient dans le parc. C'était certes un parc très spacieux, magnifique...mais forcément très famé. Ceci lui confirmait bien l'idée qu'il n'aurait jamais d'enfants. C'est bien le meilleur tue-liberté possible. De toute manière, ce n'est pas comme s'il avait besoin de beaucoup y songer, mêler enfants et monde magique ne semblait pas être une idée merveilleuse.

Jamais pressé, mais la plupart du temps toujours à l'heure, Mike commença sa marche, après avoir laché un léger baillement, dans le but rejoindre quelqu'un dans les alentours de 19h dans un bar, le Blondie. Sourcils arqués, penser à ce lieu n'était pas une véritable partie de plaisir. Effectivement si Mike avait opté pour ce bar, c'était tout simplement pour sa place dans la ville, avec en périphérie; le parc, sa chambre d'hotel, et son travail. D'ailleurs il fallait qu'il songe sérieusement à se plonger dans ses chroniques, ce qui ne s'avérera pas une lourde tâche étant donné qu'il avait une liberté -certes assez restreinte- quant aux sujets et grands thèmes de ses chroniques. Les chroniques mondaines.. que rêver de mieux pour une personne au coeur de la ville de San Fransisco?

Lecture, culture...mais absolument pas sportif. Cela se reflettait assez sur sa carrure d'ailleurs. Et au contraire facilement essouflé, et la cigarette ne devait absolument rien arranger à tout cela. Une taffe. Mais bon, personne n'est parfait, et Mike le premier. Dans tous les cas, il ne misait que très peu de choses sur les tactiques physiques, par conséquent, une force colossale ne lui est d'aucune utilité. Ensuite, pour plaire c'est certes plus avantageux, mais Mike n'avait pas pour objectif primordial de plaire à tout le monde -on peut même penser le contraire. (encore est-il que la séduction et le charme peuvent s'avérer des armes ultimes, bien trop souvent négligées par la force et pouvoirs).

Arrivant quelques minutes plus tôt que prévu, Mike opta pour une place un peu plus retirée, et en terasse ouverte. Enfin.. une place en retrait, certes, mais vu le peu de personnes présentes ce soir, ce n'était pas un détail affriolant. Cet endroit est toujours bondé, plein à craquer...bref le lieu parfait pour la majorité des jeunes de San Fransisco, mais absolument pas pour Mike. Etonné à l'entrée du Blondie, Mike alla prendre place au fond de la terrasse. Si cet endroit demeurait beaucoup moins dense ce soir, c'était sûrement dû à un nouveau bar qui venait d'ouvrir dans les parages,au rendez-vous assez tôt, et aussi vu que cela tombait un jour de la semaine, et non en fin de semaine.

Passant par le bar sur son chemin, il commanda un martini blanc, et embarqua un journal précedemment posé sur une table voisine de la sienne. Une taffe.

De nature particulièrement patiente, tout en feuilletant le journal, cela ne le dérangeait absolument pas d'attendre son verre ainsi que Cameron.

Cameron ne s'habituerait jamais vraiment aux couloirs murmurants de l'hôpital où sa mère était enfermée. On n'y était jamais seul mais, en même temps, on ne se sentait jamais en sécurité. Les ombres des malades sortaient leurs griffes de sous les portes des chambres, comme pour essayer de contaminer l'esprit des pauvres gens qui osaient venir les visiter. Chaque infirmière avait quelque chose de mort dans le regard, comme si l'espoir de guérir leurs patients, ou simplement d'améliorer leur sort, leur semblait vain. De si nombreux cas ne trouvaient d'autres solutions que la mort ou l'internement à vie. On entrait dans cette section de l'hôpital avec quelque chose de brisé et, en trop peu de temps, de nouvelles cassures se créaient tout autour. Rares étaient ceux qui s'en sortaient, encore plus rares étaient ceux qui recevaient des visites de gens qui leur étaient proches.

Les maladies mentales n'étaient pas aussi pratiques que les maladies physiques. Elles étaient gênantes, honteuses, infiniment plus anormales. On venait si facilement tenir compagnie à une personne atteinte du cancer, pour lui remonter le moral et lui donner l'impression qu'elle n'était pas si seule que ça. Pourtant, les personnes dont l'esprit était défectueux perdaient généralement l'appui de leur famille, comme si leur disfonction était volontaire. On leur en voulait... Il n'y avait qu'à voir Leyla, la soeur de Cameron, qui avait décidé que sa mère était morte après qu'elle ait été internée. Pour la jeune fille, sa mère avait alors cessé d'exister. Il n'était pas question de lui rendre visite ou de lui prêter un quelconque sentiment de compassion. Elle était morte et la seule chose qui subsitait d'elle était cette attitude stupidement accrochée que Cameron persistait à garder. Il n'avait pas eu la même réaction que sa soeur. Plusieurs fois par semaines, le jeune homme allait voir sa mère. Il n'en parlait pas à Leyla, même s'il savait qu'elle devinait quand il y allait, car le sujet n'entraînait pas vraiment les discussions posées.

Ce jour-là, d'ailleurs, Cameron était allé voir sa mère, laquelle ne l'avait même pas reconnu. Elle lui avait hurlé de partir, car elle ne croyait pas qu'il était son fils. Elle lui avait craché que son enfant, un démon aux yeux rouges, devait avoir été repris par les monstres qui l'avaient mis dans son ventre. Cameron lui avait alors doucement expliqué qu'il allait bien maintenant, grâce à elle, et que c'était pourquoi ses yeux étaient bleus, désormais. La pauvre femme s'était alors mise à pleurer en silence, en le fixant comme s'il n'était pas là...pendant de longues minutes. Puis, la visite avait été terminée et Cameron avait dû partir, espérant que sa mère soit dans un meilleur état la prochaine fois. Seulement, il savait que, ce jour-là, elle était loin d'être dans un mauvais jour. C'était donc avec son habituel malaise envers l'endroit que Cameron y avait à nouveau laissé sa mère.

Le jeune homme était ensuite allé se rafraichir un peu, chez lui, avant d'aller rejoindre Mike. Il ne voulait pas montrer cet air trop blanc qu'il se trimballait à chaque fois qu'il sortait de cet hôpital terrifiant. Leyla avait été passablement gentille, faisant comme si Cameron n'arrivait pas de là où ils savaient tous les deux qu'il arrivait. Elle lui avait réchauffé le coeur comme elle seule savait le faire et le jeune homme était reparti, l'âme un peu moins lourde.

Cameron repéra Mike, sur la terrasse, visiblement en train de tuer le temps avec l'aide d'un journal. Étonné de la présence assez restreinte, comparativement au reste du temps, de gens au bar, le jeune homme se demanda s'il n'avait pas imaginé que l'endroit était habituellement plutôt fréquenté mais, au fond, il s'en moquait bien. Un sourire assez sincère plaqué au visage, il prit place à la table de Mike.

-Tu m'étonnes. Pourquoi il n'y a pas déjà de fille assise avec toi?

Tournant, de manière de plus en plus désintéressée les pages du journal, Mike finit par reprendre une taffe. Parcourir les journaux concurrents à l'agence dans laquelle où il travaillait était assez courant, tant qu'il pouvait se plaindre tout seul ou auprès de ses collègues. Mike ne donnait absolument pas toutes les directives, étant juste le responsable de sa rubrique, les chroniques. Une place mieux placée, plus jouissive dans la hiérarchie du monde du travail, ainsi qu'une agence tout simplement plus réputée, lui était possible. En un instant, il pouvait changer ces derniers points, lui suffisait-il encore de manipuler quelques personnes sur le chemin, induire leurs pensées de façon à accepter Mike, et le tour était joué. Néanmoins Mike s'y refusait, du moins pour l'instant. Ne voulant pas se reposer sur ses lauriers trop aisément, Mike désirait tout de même avoir un minimum de reconnaissance, et de fierté personnelle. (non pas parce qu'il ne voulait pas user de sa magie à tout bout de champ, non il s'en fichait éperdument, autant que de faire perdre quelques places de travail durant son ascension). Le hasard l'avait mené ici, Mike s'y contentait et s'en sortait convenablement.

Le bruit de pas, s'avérant se diriger vers lui, perturba Mike qui redressa son visage pensant que c'était Cameron qui venait d'arriver. Ce ne fut personne d'autre que le serveur. Pas si déçu que ça, Mike le remercia et ne se fit pas prier pour boire une gorgée afin de se rafraichir le gosier. Cameron ne devrait sans doute par tarder. Toujours aussi satisfait après chaque rencontre avec lui, Mike se disait sans cesse que le temps avait défilé sous leurs yeux avec une vitesse incroyable étant donné qu'ils avaient fait leur scolarité ensemble. Ayant un bref sourire en coin après avoir repensé à quelques anecdotes vécues avec Cameron, Mike était content de ne pas avoir perdu contact avec lui.

En plus d'être une personne tellement intéressante aux yeux de Mike, Cameron partageait quelques secrets de famille avec Mike, et vice-versa. Bien que cela devait être à contrecœur pour les deux garçons. Savoir de telles choses, sur l'un autant que sur l'autre, pouvait toujours aiguiser une certaine méfiance (s'étant atténuée du côté de Mike depuis tout ce temps). Pour sa part, Mike avait dévoilé à Cameron quelques histoires et secrets des Calahan. Une famille, avec une jeunesse, presque toute avide de pouvoir à ne pas réellement négliger à cette époque. En plus de lui avoir révélé, durant l'âge naïf (pendant leur scolarité) quelques tensions et failles, Mike n'avait guère non plus lésiné sur son père et sa mère. Sa mère étant décédée, et son père l'ayant renié une grande partie de sa vie.. ce n'était pas vraiment un sujet abordable. Qui plus est, quelqu'un s'y prenant merveilleusement bien, pouvait sans aucun doute brusquer Mike si cette personne s'amusait à décortiquer tout ce qui pouvait lui rappeler n'importe quel de ses parents, bien qu'il avait pu s'endurcir avec le temps, certaines séquelles perdureront toujours.

La présence tant attendue de Cameron s'occupa de chasser toutes ces brèves pensées, qui avaient tout de même une petite valeur nostalgique, chassée à présent elle aussi.

« Rho. Cameron, te voir est bien plus important que n'importe quelle fille, tu le sais » accorda t-il en guise de réponse, sur un ton relativement amusé et avec un sourire sincère à son tour montrant qu'il était content de le revoir. De plus il était particulièrement amusé suite à ce cliché qui le suivait partout, comme si une étiquette sur son front l'indiquait. Sans se leurrer, il est vrai que Mike aimait beaucoup séduire, draguer et tout ce que vous voulez d'autre qui puisse mettre en scène un certain jeu, une certaine complicité qui commence à se créer...bref, mais ça ne demeurait pas être son passe-temps préféré, et cela n'avait rien de maladif non plus.

Après avoir attendu que Cameron ait prit ses aises, Mike enchaina ensuite après une autre gorgée; « et toi depuis quand tu trouves un peu de temps à me consacrer? Tu es enfin décidé à faire pencher l'aiguille de la balance en faveur du mal? »

Un autre sourire amusé fut accordé de nouveau à Cameron. Mike ne ratait pas une occasion pour rabâcher continuellement sa volonté que Cameron le rejoigne – sans pour autant faire preuve d'un acharnement pur et dur. Mais il fallait avouer que Mike aimerait beaucoup l'avoir à ses côtés en tant que partenaire assidu, car pour autant, livrer un combat en s'aidant mutuellement s'avéraient relativement difficile étant donné la divergence des points de vue des deux. L'un étant neutre, l'autre étant du côté du mal, les désaccords étaient parfois de la partie malheureusement.

Cameron n'avait jamais été le genre de personne à s'entourer d'un grand cercle d'amis. Les relations sociales n'étaient pas sa force. Il fallait avouer qu'il n'avait pas eu une enfance qui l'avait particulièrement aidé à croire que les autres pouvaient vraiment lui vouloir du bien. Puisqu'il était un peu borné, comme personne, Cameron avait de la difficulté à passer à autre chose et il ne parvenait pas à faire facilement confiance aux autres. D'ailleurs, même une fois qu'il appréciait une personne, le jeune homme n'arrivait pas à être complètement lui-même. Il se sentait comme obligé à taire une partie de lui, à garder pour lui-même certains secrets. Même Leyla ne savait pas tout sur lui; et ce n'était pas près de changer. Cameron Evans était prêt à presque tout pour ceux qu'il aimait, mais ceux-ci devaient savoir retenir certaines questions.

Avec Mike, il y avait cela de bien: la paix. Il prenait ce que Cameron lui donnait sans trop le harceler pour en savoir plus que ce que son ami voulait lui dire. Peut-être avait-il compris, avec le temps, que poser des questions à Cameron n'était pas le meilleur moyen pour qu'il parle vraiment. Mike lui avait confié des choses importantes sur lui-même et sur sa famille, des choses desquelles son ami aurait pu profiter s'il en avait eu l'intention. Ces preuves de confiance avaient fini par user un peu la distance que le jeune homme s'efforçait à garder et il avait fini par parler, lui aussi. Parce que c'était plus juste...et peut-être aussi parce qu'il sentait enfin qu'il pouvait se confier un peu à quelqu'un. Il avait fini par parler de son pouvoir, sans toutefois s'exprimer trop longuement sur cette envie tellement prenante de l'utiliser à chaque fois qu'il était un peu en colère. Il lui avait raconté cette fois où des enfants avaient voulu leur faire du mal, à sa soeur et lui, cette fois où ils avaient utilisé leurs pouvoirs pour la première fois. Après plusieurs années d'amitié, Cameron avait même fini par avouer, à demi-mots, qu'il était responsable de l'état de sa soeur. Sur ce sujet non plus, il ne s'était pas éternisé pendant dix pages. Le simple fait de la partager avec une personne rendait la chose encore plus horrible. Il n'allait pas, en plus, décrire la scène en détails.

Bien sûr, Mike devait en avoir vu d'autres. Il était un sorcier d'une famille pas particulièrement prompte à distribuer les fleurs roses et les peluches. Seulement, pour Cameron, il y avait une très grande marge entre éliminer un ennemi ou deux (dizaines...) et s'en prendre à sa propre soeur jumelle. C'était inconcevable, à mi-chemin entre la tentative de suicide et de meurtre. Néanmoins, Mike lui parlait encore et le traitait encore comme une personne. Alors, peut-être comprenait-il à quel point son ami se détestait à cause de ce qu'il avait fait.

-N'importe laquelle? Wow, j'en fais, des jalouses!

Cameron aimait bien taquiner Mike au sujet des filles. La vie de son ami ne tournait pas autour de la drague, mais il était beaucoup plus familier avec ce type de jeu que l'était l'autre jeune homme. Cameron n'était pas vraiment un séducteur. Il avait, bien sûr, ce visage d'ange qui plaisait assez facilement à un grand nombre de demoiselles, mais il n'était pas assez sûr de lui pour essayer de séduire les personnes qui s'approchaient de lui. Il y avait bien eu un soir ou deux, avec Jared, où il s'était amusé à tester son effet sur les filles, mais il n'y avait rien eu de sérieux et Cameron ne voyait pas un grand intérêt à draguer pour autre chose que contredire Jared.

-Non, désolé.

C'était presque un jeu entre eux. Mike qui revenait avec sa proposition de lui faire rejoindre les rangs des sorciers maléfiques et Cameron qui refusait poliment, avec le même sourire sympathique que s'il lui avait offert n'importe quelle chose sans réelle importance.

-Tu sais que je suis gentil et inoffensif voyons. Repose-moi la question quand tu me verras en colère.

Le fait était que Mike ne devait avoir vu Cameron en colère qu'un maximum d'une ou deux fois depuis qu'il le connaissait. Le jeune homme s'efforçait de toujours rester calme, même quand une personne ou une situation le fâchait, surtout s'il était en présence d'une personne qui comptait pour lui. Le jeune homme savait que, s'il laissait la colère le gagner vraiment, son envie d'utiliser son pouvoir devenait presque intolérable...comme la fois où il avait attaqué sa soeur. Et il ne voulait pas faire du mal aux gens. Il ne voulait pas réfléchir, ensuite, au monstre qu'il sentait qu'il était. Donc, il évitait de perdre son calme.

Rien qu'à la présence de Cameron, Mike se sentait de nature plus enjouée, plus égayée. C'était assez inexplicable, pas incroyable, mais juste inexplicable. Côtoyer un tas de personnes, ce n'était vraiment mais alors vraiment pas le fort de Mike – même si cette fâcheuse tendance se voyait diminuer d'un chouïa en ce moment. Mais la présence de ce fameux Cameron ne le dérangeait pas du tout, ceci était sans doute dû à leur relation perdurant suivant les années, et ce depuis leur scolarité. Se connaître étant adolescents avaient certainement dû leur être profitable, à tous les deux. Même si certains secrets s'étaient échangés malencontreusement, leur relation s'était renforcée pour autant.

« N'importe laquelle? Wow, j'en fais, des jalouses ! »
« Arrête un peu, t'es ma préférée..et de loin ! » s'empressa t-il de rajouter amusé.

Il doutait fortement que la fierté masculine de son ami en prenne un coup, Mike était tout simplement d'humeur très taquine avec Cameron, et ce n'était absolument pas la première fois que ce dernier était le fruit de bien des remarques ironiques. Mais il était évident que Mike n'était pas sérieux et qu'il ne cessait de charier Cameron, d'une part parce que cela lui plaisait (oui sa volonté lui sert de raison, c'est un concept plutôt sympa) et d'autre part car il ne cesserait pas de sitôt de vouloir ramener Cameron à sa cause. Ce dernier était neutre...c'était dingue et incompréhensible, surtout pour quelqu'un de maléfique – enfin surtout pour Mike tellement il était buté.

Encore une fois, Mike essuyait un petit échec. Cameron venait de lui accorder, sur un ton prônant la politesse, un simple non. Le pire était qu'il semblait n'en avoir rien à faire. Mike avait beau se démener et insister depuis tout ce temps pour lui faire changer d'avis, mais rien n'y faisait. Cameron conservait toujours son attitude neutre et restait en retrait. Encore heureux qu'il ne se soit pas énervé sur Mike à force...mais le Calahan s'efforçait de penser qu'il l'aurait à l'usure, qu'il y parviendra peut-être un jour. Ce n'était pas par intérêt de rameuter un inconnu dans son camp, c'était dans l'intérêt de rameuter Cameron à son clan. C'est là que réside toute la nuance. Cameron n'est pas un inconnu et Mike l'apprécie beaucoup. Et pour une simple question de prudence (pour changer tiens donc) il serait plus simple que Cameron soit à ses côtés en tant que partenaire. Certes, Cameron devait courir beaucoup moins de risques que Mike au niveau des combats...mais ce n'est pas pour autant que le statut d'un sorcier neutre était de tout repos. Au contraire certains tendaient à s'en servir et à les utiliser. Bien que Mike ne se faisait pas tellement de mouron pour Cameron...on ne sait jamais ce qu'il peut arriver.

Levant les yeux au ciel, il prit ensuite une mine faussement vexé et frustrée. Jouer la comédie était plutôt appréciable, mais là, remarquer qu'il simulait ce sentiment de frustration afin d'amadouer son ami se lisait comme dans un livre ouvert à la page du glossaire.

« mais moi aussi je suis gentil et inoffensif. » lui accorda t-il en guise de réponse, avant de se corriger en prenant une mine un peu plus sérieuse; « bon d'accord pas très inoffensif »

Après tout, à chacun son monde. Dire que ceux du côté du mal sont forcément méchants n'est rien d'autre qu'un cliché. Mike ne l'avait absolument pas mal prit sachant pertinemment que Cameron ne le pensait pas. Mais de manière générale, il est vrai que ceux de son camp avaient plus tendance à attaquer, et par conséquent à ne pas être inoffensif. Certains arboraient une image sereine et n'attaquaient tant qu'on ne les dérangeaient pas, d'autres étaient avides de victoires et de combats, d'autres n'agissaient que selon leur humeur...à la rigueur, c'était les trois comportements les plus réputés, et il était persuadé que Cameron pouvait y trouer sa place s'il le désirait. Peut-être avait-il peur? Peut-être qu'il y songeait réellement? Ou peut-être rien de tout ça et qu'il ne désirait plus être embêté par ça.

« tu me feras signe quand tu seras énervé alors. Tu ne l'es jamais je te rappelle », il leva les yeux au ciel et décida de ne pas trop s'attarder sur ce sujet qui pourrait peut-être leur porter préjudice, et de toute manière il avait bien mieux à faire; se plaindre « et puis c'est ça, fais moi souffrir, en gros ça n'arrivera jamais c'est ça? », il renifla du nez et fit la moue.

Le problème avec Cameron, c'est qu'il n'est absolument pas dupe et qu'il ne semble pas céder aux petits semblants de caprices de Mike. Enfin toujours est-il qu'il pouvait lui accorder une faveur à un moment donné tout de même, c'était tout de même dans son intérêt à lui aussi qu'il ne cessait de lui proposer. Ils éviteraient de se perdre de vue continuellement, ils pourraient développer de certaines techniques d'offensives ou de défensives, créer certaines parades...et tout simplement davantage se rapprocher, comme avant. Il est vrai que cela suscitait d'énormes sous-entendus, et Mike ne prendrait jamais le plaisir de les lui révéler, Cameron devait choisir sans en être influencé pour autant.

Chassant ces quelques pensées à valeur nostalgique, de nouveau, il regarda son ami qui n'avait pas encore demandé une quelconque consommation. Ne voulant pas insister trop lourdement et plaisanter encore un peu, Mike en profita pour en trouver une alternative. Assez perplexe quant aux réactions de Cameron, Mike ne voulait en aucun cas le voir pour tourner sans cesse autour de ce sujet de discussion de peur que Cameron ne lui consacre de moins en moins temps.

« tu prends pas de conso? Tu veux qu'on se bouge peut-être? »

-Arrête un peu, t'es ma préférée..et de loin !
-C'est totalement réciproque.

Cameron s'amusait toujours de l'humour de Mike. Se faire taquiner un peu ne l'avait jamais vraiment dérangé et son ami réussissait toujours à le faire rire sans le froisser. Il fallait dire qu'il avait la délicatesse de ne pas se moquer de choses qui auraient pu blesser réellement l'autre jeune homme. Certains se seraient amusés, parfois, à souligner les handicaps de sa soeur ou la tendance à l'obsession du jeune homme, mais Mike était assez intelligent pour éviter ces sujets, ce qui lui permettait de rester en excellents termes avec son ami.

Ne pas choisir de camp permettait à Cameron d'être plus libre. Il agissait comme bon lui semblait et il n'avait de comptes à rendre à personne. Du moins, offciellement. Le jeune homme avait eu la chance de naître de parents qui n'étaient dans aucun camp. Il n'avait donc pas eu de nom à honnorer, de lignée d'un côté ou de l'autre à faire perdurer. Pas de pression, pas d'obligation. Il pouvait choisir et même changer d'idée, s'il le fallait. Être un sorcier neutre n'était toutefois pas de tout repos. Mike lui proposait gentiment d'être de son côté, mais tous n'étaient pas aussi indulgents. Il était arrivé à Cameron de devoir se défendre contre des gens qui n'acceptaient pas très bien qu'il ne souhaite pas se battre de leur côté. Pour certains, s'il n'était pas avec eux, il était tout simplement contre eux.

Heureusement, Mike ne semblait pas vraiment de cet avis. Bien sûr, il ne lâchait pas le morceau, essayant sans relâche de convaincre son ami de rejoindre les rangs des sorciers maléfiques, mais il ne considérait pas les refus de Cameron comme des aveux d'abandon. Du mons, Cameron l'espérait. Si le jeune homme ne souhaitait pas prendre parti d'un côté ou de l'autre, il n'oubliait pas qui étaient ses amis, maléfiques ou non. Ainsi, si Mike se retrouvait un jour dans une mauvaise situation, Cameron se ferait un plaisir de l'aider, que ce soit contre un sorcier du bien ou du mal. L'amitié, pour lui, dépassait tous les principes.

-Mais moi aussi je suis gentil et inoffensif. Bon d'accord pas très inoffensif.

Cameron eut un petit sourire amusé. Au moins, Mike ne se cachait pas . C'était, d'ailleurs, ce qu'il y avait de positif chez les sorciers maléfiques: ils n'étaient pas hypocrites. Les sorciers du bien se disaient tellement gentils, lumineux et tout le bla bla. Ils luttaient contre le mal, essayaient d'enrayer les ténèbres, d'étouffer toute manifestation maléfique... Ils étaient montrés comme des sauveurs au coeur pur comme le cristal. C'était complètement débile. Ils n'étaient certainement pas aussi bons qu'on les montrait. Ils tuaient, eux aussi. D'accord, ils éliminaient des gens qui faisaient le mal, la plupart du temps, mais ils restaient des meurtriers. Exactement le genre de personnes qu'ils essayaient de faire disparaître. Se ranger du côté du bien pour combattre était lâche et hypocrite. Au moins, quand on était officiellement un sorcier maléfique, on assumait tout ce qui venait avec le titre. On ne se faisait pas croire qu'on était un sauveur alors qu'on était simplement un assassin aveuglé de belles valeurs. Méchant ou gentil, un cadavre était un cadavre, après tout.

-Tu me feras signe quand tu seras énervé alors. Tu ne l'es jamais je te rappelle. Et puis c'est ça, fais moi souffrir, en gros ça n'arrivera jamais c'est ça?

Cameron eut un petit rire devant la mine déconfite de son ami.

-J'ai pas dit jamais. Seulement pas aujourd'hui.

D'ailleurs, s'il venait à accepter, Cameron ne pourrait plus s'amuser à parer les nouvelles tentatives de le convaincre de son ami. De toute manière, Mike devait bien se douter qu'au moins, il n'avait pas à craindre que Cameron prenne parti dans le camp adverse. Il n'était pas particulièrement du genre à vouloir trop aider tout le monde et, surtout, contrairement au côté maléfique, le camp du bien ne comptait personne qui avait une réelle importance pour Cameron. C'était déjà ça de gagné.

-Tu prends pas de conso? Tu veux qu'on se bouge peut-être?

Le visage de Cameron se tordit légèrement pour prendre un air vaguement écoeuré.

-Le fait est que, la dernière fois que j'ai bu, j'ai un peu exagéré. Enfin, peut-être pas juste un peu... Et je me suis retrouvé à discuter avec un chat noir, assis à côté d'une poubelle, alors...

Le jeune homme se servit ensuite un peu d'eau, car un serveur avait déposé une cruche d'eau sur la table pendant qu'ils parlaient. Il n'en dit pas plus sur son aventure féline et se contenta d'afficher un air mi-amusé mi-mystérieux.